M1903 Springfield
Model 1903 Springfield (Etats-Unis)
Caractéristiques
M1903
Calibre : 7,62 mm.
Longueur : totale, 1,09 m; canon 0,61 m.
Poids : 3,940 kg.
Vitesse initiale : 853 m/s.
Chargeur : 5 cartouches.
Auteur : Pierre Lorain
Considéré par les spécialistes mondiaux comme le fusil de guerre à verrou le plus achevé, par les tireurs comme l'arme réglementaire la plus précise, le fusil américain Springfield est relativement mal connu chez nous bien qu'il ait été utilisé au cours des deux guerres mondiales par les forces armées des Etats-Unis. Son histoire commence avec les dernières années du XIXe siècle, elle se termine avec l'avènement de l'ère atomique.
Voici ce qu'en pouvait connaître un Français, vers 1910, en consultant le Grand Larousse illustré : C'est en 1892 que les Américains, qui s'étaient penchés depuis quelques an-nées sur les formules chimiques sus-ceptibles de leur fournir une poudre sans fumée nationale, obtinrent un combustible adéquat leur permettant de s'attaquer au problème des armes à répétition de petit calibre à tir tendu. Leurs experts avaient reconnu, pour son usage dans de telles armes, la su¬périorité du fameux verrou européen sur tous les autres systèmes "à bloc". A la suite d'essais systématiques pra-tiqués avec les nouveaux fusils qui équipaient alors les principales puis-sances européennes, ils choisirent le fusil dano-norvégien "Krag-Jorgensen", adopté en 1889 par le Danemark, comme étant l'arme qui convenait le mieux au service des U.S.A. L'arme initiale, après avoir reçu quel-ques modifications mineures, devint ainsi le premier fusil réglementaire américain à répétition de petit calibre. Le calibre adopté fut celui de .30 (7,62 mm), contre 8 mm pour le mo-dèle d'origine.
En 1898, lors de la courte guerre his-pano-américaine, les troupes des Etats-Unis eurent la désagréable surprise de s'apercevoir que leurs adversaires latins étaient équipés d'une arme très récente : le "Mauser espagnol" modèle 1893 de calibre 7mm, arme qui surclassait le "Krag" de façon très nette, tant sur le plan de la rapidité du tir que de la tension de trajectoire. Ce "Mauser" de type militaire, fabri¬qué pour le gouvernement espagnol par la firme allemande "Ludwig Loewe", était pratiquement identique, au calibre près, au "Mauser" qui venait d'être adopté par l'Allemagne sous le nom de "Gewehr 98".
Les Américains, en raison de leur pragmatisme bien connu, choisirent aussitôt d'abandonner l'arme qu'ils avaient adoptée seulement six ans auparavant pour se tourner vers une arme donnant des résultats au moins égaux à ceux offerts par le "Mauser espagnol" de 1893.
En 1900, un premier fusil expérimental fut essayé : c'était une arme longue d'infanterie à verrou Mauser et magasin Mannlicher avec un système d'arrêt de magasin, pouvant contenir 5 cartouches à bourrelet en ligne. Le magasin en tôle faisant saillie sous le fût, en avant du pontet, fut critiqué par la commission d'examen, de même que l'utilisation de cartouches à bourrelet susceptibles d'entraîner des enrayages.
Il fut en conséquence décidé d'abandonner ce modèle expérimental et de mettre aux essais une arme similaire au Mauser allemand et acceptant des cartouches à gorge. Ce second modèle, présenté en 1901, correspondait à ces desiderata ; il était muni d'une longue baïonnette-aiguille rentrant sous le fût et terminée par une pointe tranchante en forme de trocart de chirurgien. C'était une reprise en compte de la baïonnette déjà en service depuis 1889. La vitesse initiale obtenue avec la nouvelle cartouche à gorge était de 700 mètres à la seconde contre 610 m/s pour le fusil "Krag-Jorgen-sen". Le calibre de .30 était conservé.
UNE ARME DE PRESTIGE DE DIFFUSION LIMITÉE
La commission d'examen reconnut que le modèle de 1901 ne laissait pres¬que rien à désirer. Elle décida cependant de raffiner en allongeant le garde-main de bois jusqu'à l'embouchure, à la façon anglaise, et de réduire la longueur de la baïonnette-aiguille jugée trop fragile. Une modification plus importante fut en outre décidée, toujours à la mode anglaise : celle de n'avoir qu'une arme unique pour le service de l'infanterie et de la cavalerie. Donc d'adopter un fusil plus court que ceux généralement acceptés pour l'armement de l'infanterie des grandes puissances européennes en réduisant le canon de 6 pouces, de façon à le ramener à une longueur de 24 pouces (609 mm).
L'arme définitive fut adoptée en 1903 sous le nom de U.S. Rifle model 1903, ou plus communément : Springfield 1903. Le major James E. Hicks nous fait savoir ("U.S. Military Firearms") que le président Théodore Rossevelt, grand chasseur devant l'Eternel et grand amateur d'armes, protesta de la façon la plus vive contre la décision d'adoption d'une baïonnette-aiguille qui servait en même temps de baguette de nettoyage : il écrivit notamment, dans une lettre datée du 4 janvier 1905 et adressée au secrétariat à la Guerre : I must say that I think the ramrod bayonet about as poor an invention as I ever saw. (Je dois dire que je pense que la baïonnette-baguette représente l'invention la plus misérable que j'aie jamais vue...) Le président avait très probablement raison.
On décida de supprimer purement et simplement la fameuse baïonnetie-baguette et de ne pas sortir des sentiers battus en adoptant une baïonnette couteau très classique. Le fusil, sous sa forme définitive, fut adopté sous le nom de model 1903 Alt. 1905 (modèle 1903 modifié 1905). C'est lui que nous allons maintenant vous présenter. Il devait rester en service, pratiquement sans modifications, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
On doit toutefois mentionner deux transformations minimes qui furent effectuées en 1906 sur toutes les armes sans exception, à la suite de l'adoption de la balle légère pointue en remplacement de la lourde balle cylindrique à bout arrondi utilisée en 1903 et qui n'était que l'ancienne balle du "Krag-Jorgensen" sertie sur la nouvelle car-touche. La hausse fut modifiée en conséquence des nouvelles propriétés balistiques.
UNE SECONDE JEUNESSE : la commande anglaise de la Seconde Guerre mondiale
Le fusil Springfield avait été supplanté avant la Seconde Guerre mondiale par le fusil semi-automatique "Garand M-1", adopté en 1936 et qui équipait déjà la majeure partie des unités combattantes des U.S.A. à leur entrée en guerre en 1941 (à l'exception du corps des Marines et des quelques unités des Philippines et du Pacifique encore équipées de fusils à verrou). En 1944, la quasi-totalité des troupes américaines était dotée du F.S.A. Garand.
Cependant, les forces britanniques se trouvèrent à court de fusils vers 1942 et passèrent commande de 1 500 000 armes à leurs alliés d'outre-Atlantique. Les arsenaux américains qui travail-laient à plein pour la production des fusils Garand avaient mis en réserve les machines-outils destinées à la fabrication des fusils Springfield déclassés.
Par un accord passé le 4 mars 1941, les Anglais obtinrent des Américains le transfert des machines-outils et desjauges de contrôle aux usines Remington, High-Sîandard et Smith-Comna Typewiïter Co. Et c'est ainsi que ces usines privées fabriquèrent, entre 1943 et 1945, un nombre de fusils Springfield estimé à 1 315 580 (major James E. Hicks). Sur ce nombre, la majorité (plus de 945 000) furent des Springfield baptisés MI 1903-A3. Environ 345 000 fusils reçurent la dénomination Ml. 1903 Mod. Enfin, environ 26 000 étaient des 1903-A4 destinés aux tireurs d'élite.
Ce dernier modèle n'était pas autre chose qu'un fusil "1903 Mod" ou "1903-A3" sur lequel on avait supprimé hausse et guidon et muni d'une lunette de grossissement 2,5 de marque "Weaver" Ml. 330-C ou Lyman "Alaskan". Afin de hâter la production, certains canons de ces fusils n'avaient reçu que deux rayures au lieu des quatre habituelles. Ce fait ne semble pas avoir altéré d'une façon significative la précision que l'on se plaisait à reconnaître aux Springfield "d'avant-guerre". Qu'étaient en réalité ces "1903 modifiés" et "1903-A3" destinés au service du Royaume-Uni ?
Pour le 1903 modifié, essentiellement le remplacement des bracelets, du pontet et de la plaque de couche en acier fraisé par du feuillard de tôle emboutie.
Pour le 1903-A3, une transformation immédiatement perceptible à l'œil et qui constituait en fait une nette amélioration par rapport aux modèles antérieurs fut réalisée : on supprima la grande hausse à curseur et planchette ; le garde-main s'étendit ainsi jusqu'à la boîte de culasse, ce qui facilitait la préhension du fusil. Une nouvelle hausse à rampe, très réduite en dimensions, réglable en hauteur et en direction, fut placée sur le guide-chargeur, devant le levier d'armement à la façon de notre M.A.S.-36. Cette hausse à œilleton, beaucoup plus rapide pour le tir de combat et plus commode pour le tireur, donnait en même temps une plus grande précision théorique au tir en allongeant la ligne de mire d'environ 13 centimètres.
1903 mod. et 1903-A3 étaient souvent fournis avec une bretelle en sangle au lieu de la bretelle de cuir et avec une baïonnette Ml. 1905 dont la lame avait été raccourcie, ou même avec la baïonnette courte dite "M-l" du fusil Garand. Le modèle 1903-A4 n'avait pas de baïonnette.
EN GUISE DE CONCLUSION
C'est la sanction d'une guerre qui impose par la force l'adoption d'une arme ou d'un système nouveau.
L'arbre généalogique du Springfield il-lustre bien cette idée ; il montre le fusil américain enserré entre deux dates limites : la guerre de Cuba de 1898 qui présida à sa naissance, et l'adoption du fusil semi-automatique Ga-rand en 1936, résultat de la sanction de la guerre de 1914-18, qui scella son arrêt de mort. On en déduit ainsi sa période de vie active: 1906 à 1936, soit trente ans. Son apogée se situant aux alentours de 1925, moment où l'expédient de l'US-17 était oublié et où le Springfield régnait en maître incontesté sur l'empire des armes de guerre mondiales du temps. Le tableau fait ressortir le pourquoi de cette suprématie : les Etats-Unis, humiliés d'avoir eu en face d'eux, au cours du conflit hispano-américain, une armée équipée d'un fusil supérieur à leur arme nationale alors en service, avaient tiré la leçon de l'expérience en décidant de payer ce qu'il faudrait pour pouvoir fabriquer ce fameux Mauser chez eux, tout en l'habillant à l'américaine et en le modifiant de façon à accroître ses qualités en les portant à un niveau jamais atteint.
Le Springfield n'est en définitive qu'un Mauser américain, il ne doit ses origines, tant pour l'arme que pour la cartouche, qu'à l'Allemagne. Le génie armurier américain sut s'effacer devant la suprématie germanique dans l'arme à répétition manuelle à verrou, trop longtemps rejetée par les pays anglo-saxons.
En raison des soins extrêmes pris lors de sa fabrication, le Springfield ne fut pas une arme de très grande diffusion. Et, s'il participa à la Première Guerre mondiale, c'est cependant moins d'un Américain sur deux qui en était équipé. Lors de l'entrée en guerre des U.S. A. au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Springfield (modèle 1903, Alt 1905 et modèle 1903-A1), armes déclassées, n'armaient plus que le corps des Marines et, en 1944-45, certaines unités des "Marauders" de Merrill opérant dans la jungle birmane. Mais bien peu nombreux durent être les Français qui eurent l'œil assez vif pour distinguer, après le débarquement, par-ci par-là, noyé au milieu des fusils semi-automatiques, un fusil Springfield porté par un convoyeur de fonds de la "Military Police" ou par un homme d'une unité non-combattante.
Il faut cependant excepter le paradoxe de la production de grande série des-tinée à combler l'insuffisance en fusils Lee-Enfield dans l'armée britannique. Cette livraison eut lieu en 1943, elle se composait de près de 1 500 000 Springfield des types "1903 mod." et "1903-A3". En raison de la disparité de la cartouche américaine et de la cartouche anglaise, il est à supposer que ces fusils ne furent distribués qu'à des hommes pour qui l'arme d'épaule était plus un symbole qu'un outil.
Cet échange d'armes américaines à destination de la Grande-Bretagne en 1943, faisant ainsi du Springfield une arme anglaise réglementaire par destination, est à rapprocher de l'échange en sens inverse qui se fit en 1917, lorsque les Américains adoptèrent le fusil anglais P-14 (modifié pour tirer la cartouche américaine) afin de combler les insuffisances en nombre de leur fusil national.
Contrairement au fusil anglais Lee-Enfield et aux fusils américains US-17 et Garand M-l, il ne semble pas que le fusil Springfield ait été distribué en quantité notable dans notre armée.